« Le punk, c’est aussi apporter lumière et humanisme là où il n’y en a pas dans la société. »
Punkulture, c’est un fanzine de haute-volée, un incontournable dont aucun punk ne saurait se passer. Édité par le label rennais Mass Productions depuis 2014, il donne à voir dans ses articles pointus un panorama de l’underground fascinant. Suite et fin de l’entretien avec Vincent, fanzineux de la première heure et créateur de l’association bretonne.
Dans le fanzine, la culture punk est passée au crible, aucun sous-genre n’est mis de côté. Peux-tu parler de la diversité de cette scène et de l’engagement de Punkulture ?
Ce sont mes voyages personnels qui m’ont offert cette ouverture, partagée par les potes de la rédaction. Grâce à internet c’est beaucoup plus facile de communiquer avec des correspondants à l’autre bout du monde et de voyager. Parmi mes proches de la scène punk, certains sont partis vivre à l’étranger ou ont visité des pays pendant plusieurs mois. Un ami a vécu en Indonésie, s’est marié dans le pays et a écrit des bouquins où il raconte toutes ses aventures, en particulier la difficulté pour les punks de vivre dans une culture qui leur est hostile. Avec la Mass Productions, j’ai eu la chance de pouvoir voyager à l’île de la Réunion en 2010 dans le cadre d’un échange avec une association. Nous sommes restés en contact avec pas mal de rockers de là-bas et il y a un reportage sur la scène réunionnaise dans le numéro 2.
Ensuite j’ai eu l’opportunité d’aller au Brésil, un grand pays pour la culture punk ! J’ai découvert ses quartiers, les habitants qui ont leurs radios, leurs MJC, avec beaucoup moins d’aide et de liberté qu’ici. C’est très émouvant et ça m’a donné envie d’en parler dans Punkulture. Au niveau de la culture globale et des choix musicaux, c’est une chance d’avoir tous ces gens aux horizons différents dans l’équipe, et je pense que c’est humainement parlant un beau mélange.
Dans le numéro 7, il y a un entretien avec les créateurs de « Never Mind The Wrinkles » qui éditent un blog sur le passage à la cinquantaine. Est-ce important pour le fanzine de cultiver un esprit punk en dehors de la musique ?
Oui, tout à fait ! Par exemple, dans le numéro 7, il y avait le coup de gueule de Titi qui travaille dans le milieu hospitalier. Notre fanzine n’a pas une vocation politisée, mais nous abordons les sujets de la vie quotidienne ou l’évolution du féminisme dans la scène punk. Nous abordons des thèmes qui touchent les punks, parce que parmi eux on rencontre beaucoup de gens humainement sensibles. « Never Mind The Wrinkles » m’intriguait aussi parce qu’Olivier vient de la scène parisienne et il a eu son groupe C.P.P.N. dans les années 90. Il a été prof pendant 10 ans à Moscou et aujourd’hui il est en Bulgarie avec sa femme qui est Australienne, un couple qui vient de contrées bien différentes.
On a la cinquantaine, on a tous vieilli, et quand on rencontre des musiciens qui jouent depuis quarante ans, ça paraît fou ! Tout aussi fou que quand on avait quinze ans et que les Sex Pistols qui en avaient vingt-trois étaient déjà des vieux. Il y a ce côté intergénérationnel et familial qui fait que ma fille relit Punkulture et trouve toujours des fautes qui m’avaient échappées. (rires) Il ne s’agit pas de punk mais d’être bien entre nous, essayer d’apporter lumière et humanisme là où il n’y en a pas dans notre société. Le punk c’est aussi ça, ça n’est pas que de la musique. Ce qui est intéressant dans notre quotidien avec l’association Mass Prod’ c’est que notre local-bureau est situé depuis quinze ans au Jardin Moderne, un complexe comprenant des lieux de répétition, un restaurant et d’autres bureaux d’associations qui n’ont pas la même mission, sont dans des styles différents. L’idée, c’est de bien vivre chaque jour et d’avoir encore des lieux dans vingt-cinq ans où pouvoir faire vivre la musique punk.
En communiquant avec les musiciens étrangers lorsque nous les faisons jouer en France, nous essayons de comprendre comment cela se passe dans leurs pays, car de l’un à l’autre, la différence est énorme, même entre la France et l’Angleterre. Avec le succès du punk dans les années 70 en Angleterre, les petits groupes obtenaient un contrat professionnel même si cela ne durait que six mois, alors qu’en France nous n’avons pas connu ce phénomène. Par contre nous avons eu la chance d’avoir beaucoup d’aides pour la culture et la musique et je pense que les associations intéressées, quel que soit leur style, ont pu y avoir accès. Chez Mass Prod’, nous aimons démontrer que le système français n’a pas que des mauvais côtés.
Au fil de ces années à œuvrer pour Mass Prod’ et Punkulture, tu as fait un grand nombre de rencontres. Quelle est celle qui t’as le plus marqué ?
Ma rencontre avec les Mass Murderers. C’était des gars qui avaient vingt-quatre ans, le même âge que moi, je les ai trouvés très ouverts humainement. Et puis après, il y a le Brésil… C’était très fort de faire la connaissance du trio Devotos, qui est afro-punk. Ce sont des musiciens métissés qui vivent dans une ville où la majorité des richesses sont possédées par les blancs. Depuis la création du groupe il y a trente ans, ils ont joué dans presque tous les états du pays, construit une MJC et une radio, ils font office d’éducateurs en quelque sorte et ont vraiment agi pour l’accès à la culture. Visiter leur ville et assister au carnaval, c’était mémorable. Essayer de créer une paix sociale entre les différentes cultures musicales, reggae ou punk… Une grande ouverture d’esprit.
Peux-tu me parler de tes fanzines fétiches, de ceux qui ont influencé Punkulture ?
J’aimerais parler de ceux d’aujourd’hui car ceux d’hier sont difficiles à trouver. Dans les années 90, il y avait des fanzines très sympas en Bretagne. Karok mettait à l’honneur la scène avec laquelle on jouait tous les week-ends avec beaucoup d’humour. Stérozine était le zine des Stéroïds qui avaient un collectif de groupes punks à Besançon. Dans les fanzines d’aujourd’hui j’aime beaucoup La Bête, qui est un des plus créatifs en matière de collage et découpage. Je lis souvent Rotten Eggs Smell Terrible qui vient de Millau. C’est punk et j’aime beaucoup son côté découpage, fabriqué à l’ancienne.
Chéribibi incarne pour moi la grandeur absolue en langue française, mais ses sujets me touchent moins parce que ça va très loin dans le cinéma, la culture des sports de combats. Sinon, là j’ai sous la main le skinzine La France aux Nantais, c’est vraiment bien lisible et plein de bons articles. Dans le noir et blanc, j’ai beaucoup aimé Karton de Toulouse, rédigé par une équipe de jeunes qui jouent dans Krav Boca, un groupe qui tourne dans pas mal de pays. C’est très intéressant car ça mélange punk et hip-hop, avec des interviews de gens impliqués socialement dans des projets humanistes ou anti-racistes dans les pays où ils ont eu l’occasion de voyager.
Tu as participé à plusieurs rencontres autour du fanzinat, comme les « BAR ZINES », organisé par Coxs qui a créé La Bête. Qu’est-ce que ces rencontres autour du fanzinat t’ont apporté au fil du temps ? Quel genre d’échange ou de réflexion en découlent sur le milieu, ou la façon de fabriquer, diffuser les zines ?
Ce sont des moments de repos et de rencontres. Des journées où il n’y a pas de fausses joies, où on va pour être entre nous. On retrouve des gens qu’on ne voit qu’une fois par an. Le sentiment qu’il me reste de ces moments-là, c’est que ça n’est pas si évident d’aller vers l’autre. Il faut faire le tour des différents stands, prendre le temps d’échanger avec chacun. Il y a toujours deux ou trois amis avec qui on va discuter pendant des heures. On ne va pas forcément créer des liens avec tout le monde, mais c’était une journée importante pour moi, d’être auprès de Coxs qui a créé une fanzinothèque à Paris. À Rennes, nous avons une réunion de fanzines, au Bar à Mines, et ça permet de rencontrer une dizaine de locaux. J’ai aussi participé à une journée P.I.N.D : Punk Is Not Dead. Ce sont des universitaires qui se déplacent dans toute la France pour récolter des témoignages historiques.
J’aime également rencontrer des gens qui ont fait des fanzines il y a trente ans, échanger avec eux sur l’aspect manuel de leur construction. Je pense que c’était une belle époque pour le fanzinat papier, car les infos du réseau restaient très confidentielles. Les grandes stars ont toutes leurs fanzines, elles ne sont pas uniquement dans Voici. Quand j’étais gamin, j’ai fait des fanzines sur des sujets qui m’intéressaient, et je les ai gardés à la maison, ce sont des exemplaires uniques. C’est un art de décider, tu prends ta plume, tu fais ton petit cahier, t’écris tes textes, tu colles tes photos à côté… C’est une forme d’artisanat artistique. En France, quelques associations comme la vôtre travaillent sur l’archivage des fanzines, c’est important.
Un livre sur Mass Prod’ est en préparation…
C’est la suite du premier confinement qui dure depuis mars, dès l’instant où les concerts se sont arrêtés. Une de nos activités principales était d’aller tous les week-ends vendre des disques et des tee-shirts en festival. Le numéro 7 de Punkulture est sorti en avril 2020 et très vite nous nous sommes retrouvés avec peu de choses à faire, à part la vente par correspondance. Nous étions moins fatigués que les années précédentes et l’idée d’écrire un livre sur les vingt-cinq ans de l’association est venue de ce temps libre. Avec les membres du bureau, on s’est dit que ça valait le coup de fouiller dans les archives qui s’entassent depuis la création du label. En traînant dans les dossiers, j’ai relu notre parcours, avec tous ces CD remplis de photos… Le site internet de la Mass Prod’ existe et est mis à jour depuis vingt ans, c’est un fil rouge pour le sommaire du bouquin.
Avec le livre, nous allons essayer de présenter l’aspect technique et historique de l’association, ses membres, le fonctionnement, la fabrication des disques. C’est l’histoire de la rencontre entre Mass Prod’ et cent trente groupes qui ont sorti un album avec nous, les photographes et les graphistes. Si tout va bien, le livre sortira à l’été 2021.
Que peut-on souhaiter de meilleur à Mass Prod’ et Punkulture ? Qu’as-tu envie de dire aux lecteurs de cet article ?
N’hésitez pas à vous renseigner sur notre site internet, www.massprod.com, vous pouvez y découvrir l’histoire de l’association. Il y a de la musique, des photos, des tas de petites histoires, et peut-être que vous connaîtrez des groupes qui sont sortis chez nous.
Il y a aussi un hommage à faire à tous les labels avec qui la Mass Prod’ a travaillé et fait de la co-production. Quand on sort un album, ça nous arrive de nous regrouper avec d’autres labels pour que le disque soit distribué en Angleterre, en Allemagne, ou ailleurs. C’est une histoire de confiance et c’est grâce à ces partenariats que le label a pu se développer et se maintenir. Avec la même somme d’argent on n’aurait peut-être pu sortir que deux albums dans l’année, mais grâce à eux, on a sorti jusqu’à dix ou douze albums.
Ce qu’on peut souhaiter à la Mass Prod’, c’est d’exister dans cent ans ! On voudrait que bien après nous, des jeunes prennent la suite et que le message reste intentionnellement le même, c’est-à-dire faire vivre le punk en Bretagne, dans son aspect musical et festif, politiquement humaniste, sans tomber dans les extrêmes. Concernant Punkulture, encore au moins vingt-cinq numéros pour les vingt-cinq prochaines années, ça serait déjà bien.
La collection intégrale de Punkulture est en libre consultation aux Musicophages.
Retrouvez la première partie de l’interview Punkulture ici.
Retrouvez toute l’actualité de Mass Prod ici et là
Pour plus de musique : massprod.bandcamp.com
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