« J’ai voulu restaurer cette vérité qu’à Toulouse la scène était prolifique. »
Passionné de rock, Gill Dougherty vit à Toulouse dans les années 80 et joue dans les groupes Lipstick, Les Incorruptibles, Hobos. Il plonge au cœur d’une scène locale dynamique mais invisibilisée au fil des années. Pour contrer le temps, il créé Les Archives du rock toulousain, un projet collaboratif retraçant la mémoire rock’n’roll de la ville rose. En octobre 2020, Gill Dougherty partage ses archives avec Les Musicophages et nous confie son envie de collecter de nombreux témoignages liés à l’histoire de ces groupes.
Comment a germé en toi l’idée de créer ces archives, et pourquoi ?
Cette page, je l’ai initiée un peu par accident. J’avais gardé des documents sonores, des photos que je voulais restituer à leurs ayants-droits. J’ai pensé qu’elles avaient peut-être un intérêt pour quelqu’un et j’ai décidé de les mettre en ligne pour les rendre à ceux qui les avaient initiées ou apparaissaient sur les images… J’ai creusé tout ce qu’il y avait entre le 28 mars 1980 – date du premier concert de mon groupe Lipstick – et le 12 avril 1990 qui correspond au concert de mon autre groupe, Hobos, au Printemps de Bourges. Au début, je ne souhaitais parler que de groupes alternatifs, les oubliés, ceux dont personne n’avait jamais parlé.
Tu voulais que ces archives soient un projet collaboratif.
Ce qui est important ce sont ceux qui contribuent à créer ces archives. Rapidement il y a des gens qui ont compris l’intérêt du projet et y ont adhéré : « je partage mes documents, partagez les vôtres ! » L’éthique que j’ai mise en place a été de ne jamais apparaître comme un fan ni faire de promotion, mais essayer d’établir objectivement une espèce d’encyclopédie de ce que je connaissais du rock à Toulouse.
Tu regrettes que certains ne voient dans ces archives qu’un moyen de se vanter de leur collection…
C’était important pour moi de signer « Archives du rock toulousain » et non Gill Dougherty car je ne voulais pas mettre d’ego dans ces archives. Il n’y avait donc que peu de place pour un individu qui aurait voulu se faire valoir, mais c’est devenu compliqué car certains gardaient jalousement leurs documents pour se flatter de les avoir et d’apparaître comme des gens importants.
Les groupes toulousains participent-ils activement à ce projet ?
Quelques personnes ont contribué, mais trop peu. Quand je demande aux groupes de me renseigner brièvement sur leur biographie, ils ont la flemme de chercher dans leurs souvenirs. Il y a probablement dans les tiroirs des tas de choses qui dorment, et qui vont se perdre simplement parce que les gens sont paresseux. Dans le cadre des archives, c’est très important de pouvoir donner des noms aux gens et leur rendre leur identité.
As-tu eu des retours surprenants ?
J’ai eu des exemples émouvants. Une jeune fille m’a écrit suite à la découverte d’une vidéo où apparaissait son père musicien qui est décédé, et elle voulait en obtenir une copie. C’est dans ce cas de figure que les archives prennent tout leur sens.
Tu as récupéré les bandes du studio Deltour qui a enregistré la plupart des groupes toulousains dans d’excellentes conditions.
Je connais Georges Baux, propriétaire et ingénieur du son du studio, parce que son frère Pierre-Marie était mon professeur de français. En 1981, ignorant tout de ce qu’était un studio d’enregistrement, j’ai rencontré Georges et je lui ai fait écouter quelques morceaux que je jouais avec les Incorruptibles, mon groupe de l’époque. Je pense que Georges croyait en moi bien plus que je n’y ai jamais cru moi-même. Lorsqu’il a vendu son studio, j’ai récupéré les bandes pour ne pas qu’elles se perdent. Ce sont des pièces d’histoire : il y a les premiers enregistrements des Ablettes (rock), Classé X (rock new wave), Dau Al Set (new wave, punk) et Pour la gloire de Camera Silens. Tout le monde y allait parce que c’était un excellent studio.
Ces archives sont-elles conservées sous support papier ou bien dématérialisées ?
Il y a peu de documents papiers car parmi ceux que l’on m’a confiés, j’ai tout numérisé. L’intégralité des archives est sur un ordinateur et plusieurs disques de sauvegarde.
Les Archives du rock toulousain sont également friandes d’informations sur la périphérie.
Qui parlerait des groupes du Tarn, du Gers, de l’Aude si je ne les incluais pas dans les archives ? Dans cette périphérie où existaient les groupes, il y avait des lieux de rencontre culturels et musicaux. Tous les groupes importants de l’époque, nationaux ou internationaux, passaient au Pied, une ancienne ferme transformée en discothèque, près de l’Isle-Jourdain dans le Gers. Au départ, on disposait quelques caisses de bières avec des planches dessus pour créer une scène, mais à la fin c’était une véritable salle de concert. Le passage des Cramps en 1984 m’a laissé un souvenir incroyable.
Ne penses-tu pas que le patrimoine musical toulousain a été ostracisé par rapport à d’autres villes ?
Je me souviens avoir été très agacé après avoir lu dans un blog quelqu’un qualifier la musique d’ici de « pauvre scène toulousaine ». Enfin, elle a été extrêmement riche ! Ça n’est pas parce que les médias nationaux n’en parlent pas qu’elle est inexistante. Toulouse est une grande ville et on a tendance à la stigmatiser comme une ville de province. J’ai voulu restaurer cette vérité qu’à Toulouse la scène était prolifique.
Il y a toujours eu une scène blues importante avec Paul Personne, puis Daniel Antoine qui avait une envergure internationale. Les musiciens toulousains d’aujourd’hui doivent savoir d’où ils viennent et connaître cet héritage. L’enjeu des archives est d’offrir un savoir encyclopédique, et si les gens prenaient conscience de cet aspect-là, je pense qu’ils restitueraient mieux ce qu’ils ont et ce dont ils se souviennent. À l’échelle d’un individu, ces anecdotes et souvenirs n’ont pas tellement d’importance mais liés les uns aux autres, ça devient une toile extrêmement riche. Il y a un véritable intérêt historique à constituer ces archives. Pas simplement sur la décennie 80, mais aussi les années 60, 70 ou 90.
Sur Internet, on peut écouter une compilation avec les morceaux des groupes qui sont dans les archives.
Son intérêt, c’est qu’elle comporte de nombreux titres, avec un morceau de chaque groupe. Tous les genres sont présents : rockabilly, cold-wave, hard-rock… Ces artistes sont différents mais lorsqu’on les écoute les uns à la suite des autres, il y a de la cohérence. Cette cohérence, c’est ce qu’on peut appeler le rock toulousain.
Le mot de la fin : qu’as-tu envie de dire aux lecteurs ?
Qu’ils ouvrent leurs putain de tiroirs et donnent tout en vrac, même si les papiers sont jaunis, effacés, peu importe ! Ils ne savent pas la valeur de ce qu’ils ont…
Toutes les photos sont extraites des Archives du rock toulousain.